La Toile de Jouy : un tissu ancien empreint de modernité

Aujourd’hui, nous complétons nos connaissances sur la Toile de Jouy, grâce à Anne Lewin Fleur , et à qui nous prêtons notre plume,  pour vous raconter l’histoire de la Toile de Jouy !

Anne Lewin Fleur

La Toile de Jouy : l’histoire d’un tissu ancien empreint de modernité

Depuis deux siècles, elle traverse les modes sans jamais prendre une ride. La Toile de Jouy est une étoffe de coton sur laquelle sont représentés des motifs végétaux et des personnages d’antan. Les dessins caractéristiques sont monochromes. Ils sont souvent rouges, un ton qu’ils tirent à l’époque de l’utilisation de la racine de garance pour fabriquer la teinture. Ils peuvent aussi aujourd’hui se décliner dans des coloris rose, bleu clair, marine, vert, beige ou gris. On doit le développement en France de la Toile de Jouy à Christophe-Philippe Oberkampf. Cet industriel d’origine germanique (et qui obtient la nationalité française après 10 ans d’installation sur le territoire français) est célèbre pour avoir fondé la manufacture royale de Jouy-en-Josas. Ce tissu a marqué la France après la Révolution démocratisant l’accès au bon goût et au savoir-faire traditionnel. Il rencontre un vif succès à travers les âges et se fait un nom célèbre dans l’histoire des arts décoratifs. Découvrons les secrets de cette toile ancienne et si moderne à la fois.

L’origine : une toile indienne

L’impression de motifs sur toile est très ancienne. C’est en Inde qu’on découvre les teintures et les techniques de la gravure sur tissu. Dès le Moyen-âge, ces cotonnades, appelées indiennes, s’exportent à travers l’Orient. Elles arrivent sur les marchés européens au XVIIe siècle et plaisent beaucoup pour leurs couleurs vives et leurs motifs exotiques. En 1686, cependant, un arrêt du Conseil d’État interdit l’importation et la fabrication en France de ces toiles. L’objectif est de protéger les manufactures françaises de soie, de laine, de lin et de chanvre. L’artisanat des toiles indiennes se développe alors ailleurs en Europe. La fabrication clandestine s’organise également en France. Puis, la répression diminue. Madame de Pompadour contribue à sa réintroduction en utilisant les indiennes tant pour sa décoration intérieure que pour la confection de ses toilettes. Les toiles indiennes sont à nouveau autorisées en 1759. Christophe-Philippe Oberkampf sera alors un acteur incontournable de leur fabrication en France.

Crédit photo :Musée du textile de Wesserling

Christophe-Philippe Oberkampf : l’âme d’un entrepreneur

Christophe-Philippe Oberkampf naît le 11 juin 1738 à Wiesenbach en Allemagne. Descendant d’une lignée de teinturiers, il est formé par son père en Suisse. À 18 ans, il travaille comme graveur dans une manufacture d’impression à Mulhouse. Par la suite, il devient coloriste dans les ateliers d’indiennes du fabricant Cottin à Paris. En 1760, connaissant toutes les techniques de l’impression sur toile, il s’installe à Jouy-en-Josas, près de Versailles. Il y fonde les ateliers de sa manufacture au bord de la Bièvre, une situation idéale pour le lavage des tissus. Les premières toiles imprimées connaissent un véritable succès. En 1764, Oberkampf agrandit sa fabrique sur un vaste terrain de 14 hectares, et accroît les effectifs de sa manufacture sans jamais sacrifier la qualité de son travail. En 1783, le roi Louis XVI lui attribue le titre de manufacture royale. Elle produit à cette époque environ 30 000 pièces par an et mobilise près de 800 ouvriers. Après sa mort, la fabrique est dirigée par son fils Émile. Puis, l’entreprise est vendue en 1822 à Jacques Juste Barbet. La manufacture finit par fermer en 1843 après 83 ans d’activité.

La fabrication : un procédé en constante évolution

Les pièces de coton étaient préalablement battues et lessivées. Puis, elles étaient teintes et rincées dans la Bièvre pour éviter que la couleur n’attaque la toile, avant d’être étendues dans les prairies autour de la manufacture. À l’origine, la technique utilisée pour l’impression consistait à appliquer sur les toiles des planches de bois gravées de motifs et enduites de teinture.

Puis, le bois est remplacé par des plaques de cuivre. Plus souples, elles permettent un dessin d’une grande finesse. On entre alors dans l’ère de la mécanisation : ces nouvelles plaques sont fixées sur des tambours cylindriques et l’entreprise augmente considérablement sa capacité de production.

Oberkampf améliore constamment sa fabrique avec des innovations techniques. Il envoie son neveu, Samuel Widmer, en apprentissage auprès du chimiste Claude Louis Berthollet qui découvre les propriétés décolorantes du chlore. Cette invention est mise en application dès 1793 pour le blanchissement des toiles avant leur impression. D’autres techniques permettront d’améliorer encore la fabrication. L’utilisation du rouleau de cuivre gravé en creux, introduite en 1797, permettra une impression plus rapide. En 1800, la machine à graver les cylindres d’impression vient encore perfectionner le système.

Crédit photo :Musée de l’impression sur étoffes, Mulhouse

La Toile de Jouy : les caractéristiques d’un tissu indémodable   

Celle que l’on appelle aujourd’hui Toile de Jouy n’est en fait qu’une petite partie des productions de la manufacture. La fabrique produisait également des tissus polychromes dont les décors étaient somptueux. Le terme de Toile de Jouy n’est pas non plus la marque déposée d’un produit uniquement fabriqué à Jouy-en-Josas, car d’autres manufactures, comme celles de Mulhouse, produisaient des tissus identiques. Mais le terme Toile de Jouy est devenu un nom générique en raison de son succès et du titre royal décerné à la fabrique de Jouy-en-Josas.

Les toiles sont classées en deux grandes familles en fonction des dessins représentés. Les toiles florales sont celles les plus répandues avec près 30 000 motifs dans des gammes chromatiques variées. On y observe surtout des motifs de plantes et arbres occidentaux. Les toiles narratives comptent quant à elles environ 546 sujets. Elles portent sur une grande variété de sujets notamment inspirés de la littérature et de la mythologie. On y trouve des personnages dans des scènes pastorales ou galantes, des représentations de chasse et autres divertissements en vogue, ou encore les animaux des fables de La Fontaine. Ce répertoire décoratif évolue constamment grâce au concours d’excellents artistes dont certains sont des peintres connus comme Jean-Baptiste Huet.

On peut admirer quelques modèles d’origine au Musée de la Toile de Jouy, situé au château de l’Églantine à Jouy-en-Josas. On y découvre également les esquisses préliminaires, le matériel d’impression, les dessins anciens utilisés pour réaliser les gravures, les planches de bois, les plaques et rouleaux de cuivre ayant servi à la teinture entre 1760 et 1843. On voyage également dans l’univers de la famille Oberkampf à travers son mobilier, ses objets précieux et sa garde-robe. Aujourd’hui plus que jamais, les Toiles de Jouy inspirent l’univers de la mode et de la décoration. Indémodable, elle est la parfaite illustration de la rencontre du classicisme et de la modernité.

 

Crédit photo : Dior

Crédit photo de couverture : Carven 2013

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